ennemi public
Fille numéro3 a demandé que j’enregistre une émission à la télé. J’insère une cassette dans le magnétoscope. Ou plutôt je rembobine la cassette qui est déjà dedans. C’est une connerie, car j’ai déjà enregistré dessus une émission pour mon gendre, mari de Fille numéro 1. Sur le coup, je ne m’en suis pas souvenu. Ça me revient bien plus tard et je manque m’étouffer de rire.
Ben justement, en parlant de rire : j’allume le poste afin de piloter à l’écran les paramètres de l’enregistrement, c’est plus confortable. Quand c’est fait je jette un coup d’œil machinal à l’émission en cours, c’est Ruquier et sa bande de comiques. Inutile de vous dire que je déteste ce genre d’émission. J’adore l’humour, mais comment dirais-je, au fil de l’eau, pas en package dans des émissions où les participants rivalisent de lourdeur. Et puis je n’ai pas envie de rigoler sur commande, à heure fixe. Bon, quand même. L’invité du jour me surprend. En principe ils prennent une personnalité qu’ils s’ingénient à démolir ou à mettre en défaut pendant toute la durée de l’aventure. Ce jour là, il s’agit de Michel Vaujour, je me souviens bien, l’ex ennemi public numéro un, le roi de la cavale, celui que sa femme a fait évader aux commandes d’un hélico. Le type a l’air un peu détaché, mélancolique, il se laisse assaisonner gentiment, en donnant parfois une réplique narquoise. Jusqu’au moment où une crétine de l’émission en rajoute une couche bien lourde. Et là, il se lâche, il se met à raconter, pas sa vie, non, mais qui il est, ce qu’il a enduré, son destin de truand, il insiste bien sur cette idée de destin. Il est très émouvant, on le sent presque près de craquer, et il continue de parler, calmement néanmoins, et plus personne ne moufte dans le studio, l’atmosphère est grave, aucune vanne ne fuse en aparté. Puis quelques uns se hasardent à poser timidement des questions sur le livre qu’il a écrit, un truc sur ses plus belles EVASIONS. Ce ne doit pas être facile, ils n’ont manifestement pas l’habitude de dire autre chose que des conneries. Comme moi j’imagine qu’ils sont impressionnés par ce que raconte cet homme. N’allez pas croire, je n’ai aucune sympathie a priori pour les truands, aucune fascination, il n’empêche : cet homme qui a peut-être passé la moitié de sa vie en prison impose un certain respect, malgré tout. C’est un « homme debout ».
Le bip du four retentit, il est temps de passer à table, je ne verrai pas la suite. J’éteins la télé.
L’évasion l’est souvent : 10 lettres dont 2 A, 2 E, C D U.