nuages
Je me suis absenté…
Oh, pas longtemps. Enfin, je ne crois pas, je n’en sais rien.
Vous savez : un wagon de TGV, même s’il n’y a pas foule, c’est bruyant, ne serait-ce qu’à cause du roulement. Et puis la vitesse : quand on passe dans les tunnels, ça déglingue les oreilles. Bref tout ça n’incite pas trop à la conversation.
Alors je me suis absenté du monde.
Au départ, le paysage est intéressant, il est vallonné, je reconnais des endroits que j’ai fréquentés autrefois… et puis soudain ça devient plat, immense, terne, à perte de vue… mon regard erre encore à ras de terre. Parfois je saisis un village : tiens deux ou trois d’entre eux semblent posséder des églises intéressantes, un peu fortifiées, telles qu’on en trouve un peu partout en région parisienne et en Beauce… Tout est plat, je me dis que ça n’incite pas à la gaieté. Et puis je remarque des tentes, plantées dans un recoin de haie, quelqu’un sans doute trouve un charme à cette platitude…
Je me suis absenté. Parce qu’à un moment je comprends que mon regard en a assez de faire du rase-mottes, il s’élève, il joue de bleu et de masses grises et blanchâtres, mouvantes, parfois échevelées. Si le ciel était d’un bleu uniforme, ce ne serait pas pareil, pas si attrayant. Mais là il y a du mouvement. Sans pour autant imaginer des formes, coller de fugitives étiquettes, je me laisse griser, absorber, évader, absenter. Nourrir de regrets : parce que c’est agaçant de voir et de ne point avoir à chaque moment un appareil photo à disposition.
Je m’étais absenté, mais je reviens à moi, je reviens à vous, ne m’en veuillez pas. C’est fortuit, je sais, mais je ne suis pas obligé de vous en faire part, à vous qui m’accompagnez : je vous ferai croire que je reviens à vous parce que vous m’accompagnez, simplement. Alors qu’en réalité mon regard dans son errance céleste a fini par capter « issue de secours », gravé sur la vitre du wagon en obstacle à la transparence. Mon regard a changé de focale, s’est fixé là-dessus, a ignoré la danse des STRATUS, ou des stratocumulus, et alors, quel intérêt restait-il à regarder dehors ?
L’empire du milieu : 8 lettres dont C A R N E T.