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caramels
21 novembre 2005

la part des anges

Dans mon souvenir la ville était noire. Certes le jour où nous nous étions arrêtés là, il y a bien longtemps, c’était au cours de notre lune de miel, certes ce jour-là disais-je, la météo n’était guère avenante. Il me semble que nous avions pris un café dans un établissement de cette étrange place triangulaire qui sert de centre à la ville. Nous nous étions ensuite mis en tête de chercher le producteur qui portait notre nom de famille, il existait, je le sais, puisque j’avais eu en porte-clé une petite bouteille de plastique estampillée de notre nom, du temps où enfant je collectionnais ce genre d’objets. Cela m’avait été confirmé par la présence de fonds de tonneaux vernis, toujours marqués de notre nom, au plafond du restaurant du vieux port de La Rochelle, où nous nous étions régalés de fruits de mer arrosés d’un côte de Blaye blanc très frais. Ce jour-là, nous attendions impatiemment que la fille de l’office du tourisme trouve dans ses liasses de papiers l’adresse recherchée. Elle avait enfin relevé vers nous son charmant regard agrémenté de lunettes, elle m’avait offert un sourire candide et avait dit qu’elle était navrée mais qu’il nous faudrait nous rendre à La Rochelle, c’est là-bas que ça se situait. Damned, nous en venions, nous n’allions pas y retourner, alors que nous avions décidé de nous diriger plein sud. Zut. De dépit nous n’avions pas acheté de flacon du précieux breuvage dans une autre marque. Puisque nous avions fait chou blanc.

N’empêche que dans mon souvenir la ville était noire. J’avais lu un roman qui se situait là, et où l’auteur expliquait que cette noirceur caractéristique des murs était due à la part des anges, ces émanations alcooliques qui résultent d’une distillation à grande échelle et qui dit-on couvraient la ville d’une espèce de moisissure sombre. Un excellent polar, d’ailleurs.

Dernièrement pourtant, était-ce en mai ou en juin de cette année, je ne m’en souviens plus, j’étais venu là à deux reprises le matin de bonne heure, un peu réticent la première fois parce que ce n’était pas tout près, et parce que la NOIRCEUR du souvenir ne me disait rien qui vaille, et cette nouvelle vision de la ville, cette fois il me faut l’avouer éclairée différemment par un ciel radieux, était plutôt faite de couleur, voire même de blancheur.

Il était environ sept heures et demie. J’avais laissé la voiture près du lycée où fille n°2 passait son examen. J’avais pris la direction qui me semblait être celle du centre ville. Je passais devant des maisons modestes, et sans transition je me trouvais soudain devant l’entrée d’une distillerie où malgré l’heure matinale on s’affairait déjà. J’admirais l’ordonnancement de la cour, et les bâtiments assez majestueux de ce qui ressemblait à un château du bordelais qui aurait été transplanté en pleine ville. Je me targue d’avoir l’odorat encore assez fin, j’avais donc humé l’air ambiant à la recherche du parfum suave du cognac, et illusion ou pas, il me semble bien que je l’avais perçu. J’avais ensuite longé un vaste jardin public, traversé l’avenue par laquelle nous étions arrivés en ville, puis atteint les rues pavées du centre, tandis que les maraîchers des environs installaient leurs étals sous la halle. J’avais arpenté les rues commerçantes alors que seules les boulangeries étaient déjà ouvertes, j’avais pris plaisir à observer la vie d’une ville sous un angle original, la vision d’une ville s’ébranlant vers une journée de labeur, ce qui changeait agréablement de l’ambiance habituelle des foules de badauds avançant lourdement vers des dépenses irraisonnées dans le bruit de musiques informes crachées par des haut-parleurs. J’avais cheminé ainsi, sans le vouloir, jusqu’à la fameuse place triangulaire de mon souvenir. Je m’étais assis à une terrasse pour un petit noir et un croissant, peut-être était-ce la même terrasse que des années auparavant. J’étais bien, installé ainsi parmi les cols blancs qui prenaient leur premier café de la journée. J’avais un peu observé les allées et venues, tenté de sentir la ville. Et c’est à cet endroit que j’avais pris conscience de la pureté de la lumière, que tout m’avait paru blanc. Je ne veux pas dire blanc parce que les murs auraient été chaulés, tels ceux de l’île de Ré, non. Blanc parce qu’on avait consciencieusement ravalé les façades les plus majestueuses de la ville. J’étais reparti en sens inverse, ce qui m’avait donné l’occasion d’entrer dans ce qui pouvait être la cour d’une médiathèque, un bâtiment pourvu des traces d’anciennes voussures romanes. Je n’avais pas quitté le centre sans me plonger dans les senteurs du marché. Chez un producteur j’avais acheté un kilo de fraises très parfumées, qui avaient constitué un dessert tout simple et délicieux pour notre repas du soir. Mon plus grand plaisir, pour clore cette promenade, avait été de flâner dans les allées du jardin public, un pur moment de bonheur à l’heure où les jardiniers donnent la dernière touche aux massifs qu’ils arrosent copieusement. En bas d’une pelouse en gradins disposée comme un amphithéâtre, un jeu homme charmait une belle au son d’une guitare.

J’avais pris mon petit carnet vert et je n’avais rien écrit, je n’avais pas trouvé les mots. Ou plutôt si, j’écrivais un peu, mais si mal qu’instantanément j’arrachais les pages de leur spirale et les roulais en boule pour les enfouir au fond de ma poche. (ces mots qui surgissent aujourd’hui, sous une forme différente de ce que j’avais prévu).

Ma fille n°2 m’avait rejoint, son épreuve terminée, et nous avions repris la route. J’étais gonflé à bloc, il me semblait, chargé d’images de fleurs, de palmiers, d’alambics et de murs. Chargé de couleurs et de blanc.

Tandis que j’aurais juré, mes souvenirs à la rescousse, que la ville était noire.

Terrible manque de civilisation : 8 lettres dont A R A I R E

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Commentaires
D
MERCI
T
Cognac et barbarie associés... Ça me fait du bien. C'est Cognac qui m'a vidé de mon essence professionnelle. C'est Cognac qui m'a volé mes meilleurs collègues/copains de travail. C'est Cognac qui a voulu me montrer comment je devrais travailler. C'est Cognac qui a déclenché ma dépression de 1999.<br /> <br /> Cette triste ville ne sera jamais aussi noire que l'âme de ses habitants.
P
J'arrive juste à temps pour me faire coiffer sur le poteau,dommage..,pas trop dure à trouver cette fois,vu que c'est la dédinition même du mot,non?/<br /> <br /> Le nom de famille qui estampille les tonneaux dont du parles,si j'ai bien compris ,est le tien,et il doit y en avoir qq uns en France parce qu'il y a jusqu'à notre médecin (que j'ai encore vu hier..)<br /> qui le porte..
P
Dia, Le titre du livre était "la part des anges " et l'auteur Hubert Monteillet
P
Barbarie, oui Dia<br /> Syl je vais essayer de ne pas toujours composer un mot trompeur avec les lettres de l'énigme (j'ai bien dit pas toujours)
caramels
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